Le temps est
un grand artiste anonyme; il embellit l’œuvre
d’art ; il lui confère une beauté morale et même, en touchant
la matière, la revêt do noblesse. Hélas ! le temps est aussi un
destructeur des belles choses, et si l’homme ne venait à leur secours, plus
d’une périrait avant son heure.
La belle
église Saint-Nicolas, la plus belle pour les artistes, devait, à son grand
âge, son incomparable patine ; elle lui devait encore l’usure de ses
arêtes trop vives. Les ans semblaient les avoir émoussées à force de les
caresser.
Car ce n’est
pas seulement la valeur architecturale de ses lignes simples et sobres, l’équilibre
et le jeu des ses masses, l’heureuse composition de son portail flanqué de
ces deux tourelles, qui sont une réussite d’art inégalée, qui totalisent
la beauté de cet édifice ; d’autres éléments y ont apporté leur
concours : d’abord, comme nous le disions, le temps qui lui a conféré
ce quelque chose de sacré te de vénérable à quoi tout cœur bien né est
sensible; cette émanation morale qui se dégage de ses pierres, aussi
perceptible pour qui sait rêver que si elle était matériellement papable.
Oh ! je sais, il faut être quelque peu poète pour une telle perception,
mais ne faut-il pas l’être pour saisir l’entière beauté de toute œuvre
d’art ? N’y a-t-il pas dans l’objet qui mérite ce nom, à côté
de sa valeur plastique, une valeur d’ordre moral ou sentimental qui nous
touche l’âme ? Combien cela est vrai pour le monument en
question ! S’il parle à nos yeux, par sa ligne, par son ordonnance
logique, par l’harmonie et le balancement de ses masses, il parle tout aussi
éloquemment à notre âme, à la pitié divine que des milliers de
générations ont criés sous ses voûtes, car c’est à cause de tout cela
que ses pierres nous paraissent vivantes, presque humaines, et qu’une âme
semble l’animer qui parle à notre âme.
Cette grande
vois va se taire pour quelque temps. Déjà son grand portail a disparu sous l’enchevêtrement
d’une échafaudage compliqué. Une restauration indispensable va la
soustraire au spectacle quotidien. Comment en sortira-t-elle, notre chère et
belle église ? Dans sa beauté entière, sa beauté d’avant l’intervention ?
Car le mérite ne sera pas de Prolonger sa vie, mais bien de lui conserver sa
beauté. Espérons que les archéologues n`en feront pas leur victime en sa
livrant à une reconstruction qui ferait abstraction du travail du
temps ; que les tailleurs de pierre, dans leur zèle et l’amour de leur
art, n’harmonisent pas le ton des vielles pierres avec les nouvelles, en
leur enlevant cette patine miraculeuse qui les a ennoblies ; qu’ils ne
retaillent pas et ne rendent coupantes les arêtes saillies que les siècles
et l’atmosphère ont adoucies et émoussées.
Espérons !
.. Et réjouissons-nous qu’un amoureux fervent de Saint-Nicolas, un
infomparable artiste ait pris soin d’immortaliser son aspect actuel, dans
des planches, vertes, scrupuleusement transcrites mais où l’esprit des
choses a maintenu sa primauté.
Est-il bien
nécessaire de parler de l’étonnante perfection de cette œuvre ?
Jaimes on n’a, jusqu’à ce point demandé au dessin presque uniquement
linéaire, la représentation de la nature inanimée.
C’est,
transporté dans le domaine des choses, l’art du grand Ingres. Commune
celui-ci, par un simple contour, rendait tout à la fois les volumes, la
plastique et le caractère moral des ses modèles vivants, De Bruycker, par
les simples infléchissements de la ligne, restitue la vérité matérielle,
les volumes et leur plan dans l’espace, et l’esprit qui émane de la
matière inerte. Et si, par hasard, une tache d’ombre résonne dans le
dessin, son effet sera d’illuminer d’une lumière plus intense encore la
blancheur des voûtes et des colonnes.
Les moindres
détails ont été notés. Voyez les rangée de chaises ; chacune d’elles
vous dit son histoire et porte la trace des genoux que la piété a fait
fléchir. Tout a été observé, tout a été rendu. C’est le propre même
du chef-d’œuvre.
Grégoire Le
Roy, L’Eglise Saint-Nicolas à Gand.